La formation, grande gagnante de la crise sanitaire ?
La formation a-t-elle bénéficié de la crise sanitaire ? Allons-nous assister à un retour à la situation antérieure, ou à l’entrée dans un nouveau monde ?
Réactivité du gouvernement
Le FNE-Formation (aide à la formation du Fonds National de l’Emploi) a permis au Ministère du Travail de réutiliser un dispositif créé en 2013 pour répondre à la situation sanitaire particulière. L’instruction du Ministère date du 9 avril 2020, soit moins d’un mois après le début du confinement.
On peut noter la mobilisation extraordinaire de la Direccte dans son implication dans le financement de la formation : il s’agissait alors de « profiter » du chômage partiel pour permettre aux salariés de se former à distance.
En 2020, ce dispositif a concerné 366 milliers de salariés (Source : DGEFP, janvier 2021).
Les grands groupes, principaux bénéficiaires
Que peut-on en dire ? Seuls 366.000 salariés du secteur privé, soit moins de 2% de l’ensemble des salariés (19 millions), en ont bénéficié. Aujourd’hui, le dispositif est toujours d’actualité, avec quelques aménagements. Il reste 1,6 million de personnes en chômage partiel. Ce sont les grands groupes qui ont principalement profité du dispositif, et assez peu les PME… Un problème récurrent dans le fléchage des fonds de la formation.
Mais la conséquence de la crise n’est pas tant la qualification des salariés que la numérisation des organismes de formation. En janvier 2020, 72% des organismes de formation proposaient 100% de leurs prestations exclusivement en présentiel. Aujourd’hui, grâce à la généralisation des classes virtuelles, les 3/4 des organismes de formation offrent des prestations numériques.
Autrement dit, le FNE-Formation a permis l’accélération du numérique dans la formation. C’est l’ouverture à de nouveaux usages, le début de l’aventure… Et c’est une très bonne nouvelle !
La scalabilité en construction
Sous réserve d’absence de nouvelle crise sanitaire et d’une situation économique qui continue de s’améliorer, la France pourrait revenir à la situation de 2019 à la fin de l’année, d’après la Banque de France.
Une partie de l’économie a largement profité du confinement (environ 20% de l’activité). Il s’agit essentiellement du secteur du numérique, qui connait d’ailleurs une pénurie de main d’œuvre : community managers, codeurs… D’après certaines études, le confinement aurait permis de gagner de 4 à 8 ans dans la numérisation des métiers.
Mais tout le monde ne s’en sort pas aussi bien. En effet, environ 20% de l’activité souffre : hôtellerie, restauration, transport… L’économiste Christian Saint-Etienne estime à 2 millions le nombre de salariés à former ces 18 prochains mois.
Selon les dernières estimations concernant les besoins en main d’oeuvres (BMO 2021), ceux-ci concernent les informaticiens et, juste derrière, les aides à domiciles et les aides ménagères. Les besoins en formation sont énormes… sans parler de la création de nouveaux métiers.
En effet, Pôle Emploi estime que 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore. Nous avons donc 9 ans pour former 85% des salariés nécessaires aux futurs emplois.
Mais Christian Saint-Etienne considère aussi qu’en l’état actuel des choses, la filière formative ne peut produire que 300 à 400.000 personnes formées supplémentaires. 400 000 versus 2 millions… Il va falloir trouver des alternatives !
C’est tout le charme du numérique : la scalabilité. La même ressource utilisée à l’infini sans perdre de sa valeur. Reste à sortir de la pédagogie numérique « triste » pour réenchanter le support de formation… La « scalabilité heureuse », en quelques sortes.
Non aux « NEET »
Le gouvernement a décidé d’engager la solidarité nationale et des financements pour lutter contre les NEET (« Not in Education, Employment or Training »), ces jeunes de 15 à 24 ans que l’on estime être en France à environ 1,6 million. Aujourd’hui, 100 000 décrocheurs sont ainsi pris en charge. L’objectif est d’atteindre 1 million, ce qui est particulièrement ambitieux avec un public si difficile à atteindre.
Pôle Emploi et les missions locales se disent incapables d’atteindre cet objectif sans investissement majeur… L’idée est sans doute d’associer le public et le privé pour assurer une gouvernance nouvelle. Il y a là un potentiel de croissance important.
Il ne s’agit pas que de solidarité, mais d’investissement. Selon une étude de Patrick Aubert, Bruno Crépon et Philippe Zamora datée de 2009, un effort de formation « moyen » dans une entreprise (formation de 11 heures ou taux de salariés formés de 37%, ou dépenses de l’ordre de 445 euros par salarié) augmenterait la productivité de 0.8% à 1.2%
D’après d’autres études, une année de formation augmenterait la productivité de 7 à 9 %. Comparé à la bourse (5,5 % en moyenne), l’investissement en formation – quel que soit le public – est très rentable !
Un enjeu de gouvernance
L’offre de formation ne souffre pas d’absence de demande : c’est davantage un enjeu d’innovation de la filière. Pour répondre à la demande, il est nécessaire d’effectuer une révolution schumpeterienne : une offre qui permettrait une nouvelle industrialisation des produits de formation. C’est tout l’enjeu de la gouvernance de la filière EdTech.
Quelle place l’Etat va-t-il choisir pour dynamiser l’articulation privé-public ? Ce qui est extraordinaire, c’est que nous sommes à un moment où tout est possible… Suivant la réponse proposée, c’est la souveraineté nationale de demain qui se dessine aujourd’hui.
Par Stéphane Diebold pour Focus RH
A propos de l’auteur
Stéphane Diebold a mis son expérience au service de l’innovation pédagogique et de la performance en entreprise, au sein de TEMNA dont il est le fondateur depuis 2003. Associatif, il a assumé des responsabilités dans une dizaine d’association, essentiellement formatives, aujourd’hui Président fondateur de l’AFFEN (Association Française pour la Formation en Entreprise et les usages Numériques).