Télétravail en tiers-lieu : enjeux, opportunités et points de vigilance

A quelles conditions le travail en tiers-lieux peut-il être acceptable pour tous et toutes (salariés, management, direction…) ? C’est autour de cette question que le réseau Anact-Aract soutient dès cet automne 2021 une expérimentation portée par France Tiers-Lieux. L’occasion de revenir sur les enjeux, atouts et risques pour les conditions de travail d’une pratique en développement auprès des salariés et des organisations.

Qu’est-ce qu’un tiers-lieu et pourquoi envisager le tiers-lieu comme une alternative au domicile en télétravail ?

Le tiers-lieu se définit nativement comme une “alternative” : un troisième lieu – en l’occurrence de travail – qui ne serait ni le domicile, ni l’entreprise. La question de l’intérêt que peut présenter cette alternative se pose fortement avec la crise sanitaire et le télétravail contraint qu’elle a occasionné. Les inégalités en matière de conditions de travail à domicile sont en effet apparues à cette occasion de façon visible : d’une part les modalités organisationnelles et les moyens mis à disposition par l’entreprise ne sont pas toujours au rendez-vous (équipements, pratique de management, etc…), d’autre part la configuration des espaces à domicile et les situations personnelles des salariés (connexion internet, espace dédié, situation familiale…) ne sont pas neutres pour les femmes et les hommes. Si l’employeur a bien une obligation d’assurer santé et sécurité de ses salariés, il reste difficile pour ce dernier de s’assurer de bonnes conditions de travail au domicile (accès sous condition d’acceptation du salarié, attestation sur l’honneur…).

C’est pourquoi, pour des questions de santé au travail mais aussi d’équité, le tiers-lieu peut apparaître à certaines conditions comme un environnement de travail alternatif potentiellement adapté aux situations de télétravail réguliers, occasionnels et à plus forte raison exceptionnels (voir la FAQ télétravail à domicile ou en tiers-lieu proposée dans le Kit Associer Télétravail & QVT).

Ces lieux “tiers” ne sont, pour autant, pas exempts de risques du point de vue des conditions de travail ?

En effet, dans tout contexte de travail, il est important d’identifier les risques potentiels, et le tiers-lieu n’en est pas exempt (comme le travail à domicile, du reste) : risque d’éloignement du collectif de travail et des régulations informelles, renforcement de l’isolement, nuisances sonores, surengagement dans la vie du lieu au détriment de sa propre activité… Il faut aussi prendre en compte les inégalités d’accès à cette solution, pratiquée pour le moment par des catégories socio-professionnelles disposant d’une certaine autonomie au travail. Certaines études (1 et 2) soulignent, par ailleurs, la possibilité d’une transformation profonde de la relation au travail en contexte de déspatialisation : l’invisibilisation et la dé-socialisation menaceraient dans ce cas la capacité des équipes à collaborer.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que le Fonds d’aide pour l’amélioration des conditions de travail (Fact) piloté par l’Anact soutient le projet porté par France Tiers-Lieux visant à identifier les conditions acceptables d’un télétravail en tiers-lieu, ainsi que les obstacles et leviers potentiels (culturels, économiques et structurels).

Les employeurs et partenaires sociaux sont-ils favorables au recours aux tiers-lieux ?

La question de la reconfiguration des espaces et des lieux dans le cadre de la négociation collective en matière de télétravail est émergente. Au niveau des accords interprofessionnels, l’accord relatif à la mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique signé le 13 juillet 2021 dédie un chapitre au développement des espaces partagés et souligne également qu’une réflexion de développement de tiers-lieux par les administrations peut réduire les inégalités entre les femmes et les hommes. Dans les accords télétravail négociés par les entreprises, on observe cependant qu’il est encore peu fait mention des alternatives au domicile. Lorsqu’il en est question, les prises en charges forfaitaires ne permettent pas de couvrir les frais.

Les tiers-lieux sont-ils le signe d’une tendance à déployer “l’entreprise hors les murs” ?

La question du télétravail à domicile ou en tiers-lieu mérite en effet d’être repositionnée dans une réflexion plus large sur l’évolution des lieux et des espaces, mais aussi des modes de collaboration. La digitalisation des entreprises a rendu possible le travail à distance, en réseau, depuis de nombreuses années (le premier rapport public sur le télétravail date de 1995 !).

Qu’il se déroule à domicile, dans des lieux tiers, ou sites distants, qu’il soit régulier ou occasionnel (grèves des transports, crise sanitaire, événement climatique…), le télétravail permet d’assurer une continuité d’activités, et des collaborations réunissant des individus et des compétences parfois très éloignés géographiquement (cf. les chaînes de sous-traitance sur plusieurs continents). Cela a un impact direct sur les espaces de travail, les bureaux, qui continuent à évoluer. Par ailleurs, il est plus difficile aujourd’hui d’allouer un usage fixe à un type d’activité, même si beaucoup de représentations circulent à ce propos. Par exemple, le domicile ne peut pas être qu’un espace de travail individuel et silencieux. On collabore aussi à distance depuis chez soi. De même que l’on peut souhaiter travailler individuellement en tiers-lieu. Les espaces sur site ne peuvent pas être que des lieux dédiés à la collaboration et à la créativité. Les entreprises sont actuellement en recherche d’un équilibre présentiel-distanciel, d’une identification des marges de manœuvre spatiales et temporelles adaptées aux activités de travail individuelles et collectives. Ces questions sont au cœur du dialogue social avec pour objectif de trouver le bon mix espace-temps pour l’entreprise.

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1. Maclouf Etienne, « Espaces de travail et management », Revue de gestion des ressources humaines, 2011/3 (N° 81), p. 5-18.
2. Taskin Laurent, « La déspatialisation. Enjeu de gestion », Revue française de gestion, 2010/3 (n° 202), p. 61-76.

Lire l’info sur le site de l’Anact